(Voir aussi Principes généraux sur les intoxications.)
On trouve du paracétamol dans > 100 produits en vente libre. Ces produits comprennent de nombreuses préparations pour enfants, sous forme liquide ou solide (comprimés, gélules) et de nombreuses préparations contre la toux et le rhume. Nombre de médicaments vendus sur ordonnance contiennent également du paracétamol. Le surdosage de paracétamol est donc fréquent.
Physiopathologie
Le principal métabolite toxique du paracétamol, la N-acétyl-p-benzoquinone imine (NAPQI), est produit par le système enzymatique hépatique des cytochromes P-450; le glutathion stocké dans le foie détoxifie ce métabolite. Un surdosage aigu entraîne un épuisement des réserves hépatiques de glutathion. Par conséquent, le NAPQI s'accumule, causant une nécrose hépatocellulaire et parfois des lésions d'autres organes (p. ex., reins, pancréas). D'un point de vue théorique, les hépatopathies alcooliques et la dénutrition sont susceptibles d'augmenter le risque d'intoxication car l'induction enzymatique hépatique peut augmenter la formation de NAPQI et parce que la dénutrition (également fréquente chez les alcooliques) entraîne une diminution des réserves hépatiques de glutathion. Cependant, des doses thérapeutiques de paracétamol chez les patients alcooliques ne sont pas associées à une atteinte hépatique.
Intoxication aiguë par le paracétamol
Pour causer une intoxication hépatique, un surdosage oral aigu doit correspondre à une dose ≥ 150 mg/kg (environ 7,5 g chez l'adulte) en 24 h.
Paracétamol IV
Une formulation IV du paracétamol conçue pour une utilisation hospitalière et chez les patients de > 2 ans d'âge a été associée à plusieurs centaines de rapports de surdosages, avec plusieurs dizaines de décès, et plusieurs chez des enfants. La plupart de ces effets indésirables étaient le résultat d'erreurs de dose car le médicament est dosé en milligrammes mais administré en millilitres. Ces surdosages étant iatrogènes, des informations fiables au regard de la durée et du dosage total sont disponibles. Le nomogramme de Rumack-Matthew ( Nomogramme de Rumack-Matthew pour ingestion aiguë simple de paracétamol) a ainsi été utilisé avec succès pour prédire l'intoxication. Les surdosages < 150 mg/kg sont peu susceptibles d'entraîner une intoxication. Cependant, le traitement radical du surdosage IV en paracétamol n'a pas été déterminé, et une consultation avec un toxicologue ou un centre antipoison est recommandée.
Symptomatologie
Les intoxications modérées peuvent être asymptomatiques et, si présents, les symptômes d'intoxication aiguë par le paracétamol sont habituellement mineurs jusqu'à ≥ 48 h après l'ingestion. Les symptômes, pour lesquels on peut décrire 4 phases (voir tableau Stades de l'intoxication aiguë par l'acétaminophène) correspondent à une anorexie, des nausées, des vomissements et une douleur de l'hypochondre droit. Peuvent survenir une insuffisance rénale et une pancréatite, parfois sans insuffisance hépatique. Au bout de > 5 jours, l'hépatotoxicité guérit ou, au contraire, se complique de défaillances viscérales multiples à l'évolution parfois fatale.
Stades de l'intoxication aiguë par le paracétamol
Diagnostic
L'intoxication par le paracétamol doit être envisagée chez tous les patients qui ont ingéré du paracétamol de manière non accidentelle, ce qui correspond le plus souvent à des tentatives de suicide ou à des accidents chez l'enfant, car cette intoxication est fréquente et souvent n'est pas rapportée. En outre, le paracétamol entraînant souvent des symptômes minimes au stade précoce et son surdosage étant potentiellement mortel mais traitable, la possibilité d'une ingestion doit être envisagée chez tous les patients également en cas d'ingestion accidentelle.
Il est possible d'estimer la probabilité et la gravité de l'atteinte hépatique causée par une ingestion aiguë en fonction de la quantité ingérée ou, plus précisément, de la concentration sérique de paracétamol. Si l'on connaît le moment de l'ingestion aiguë, le nomogramme de Rumack-Matthew ( Nomogramme de Rumack-Matthew pour ingestion aiguë simple de paracétamol) est utilisé pour estimer la probabilité d'hépatotoxicité; si on ne sait pas quand a eu lieu l'ingestion aiguë, le nomogramme ne peut pas être utilisé. Pour un surdosage aigu isolé de paracétamol standard ou de paracétamol à libération rapide (qui est absorbé de 7 à 8 min plus rapidement), les concentrations sont mesurées ≥ 4 h après l'ingestion et rapportées sur le nomogramme. Un niveau ≤ 150 mcg/mL (≤ 990 micromol/L) et l'absence de symptômes de toxicité indiquent que l'hépatotoxicité est très peu probable. Des niveaux plus élevés indiquent une hépatotoxicité possible. Pour un surdosage aigu isolé avec du paracétamol à libération prolongée (qui entraîne 2 pics de concentrations plasmatiques à près de 4 h d'intervalle), le taux de paracétamol est mesuré ≥ 4 h après l'ingestion et 4 h plus tard; si l'un quelconque des taux se trouve au-dessus de la ligne de Rumack-Matthew de toxicité, le traitement est nécessaire.
Nomogramme de Rumack-Matthew pour ingestion aiguë simple de paracétamol
Si l'intoxication est confirmée ou fortement suspectée ou si le temps d'ingestion n'est pas clairement défini ou s'il est inconnu, des examens complémentaires sont indiqués. Le bilan hépatique est effectué et, dans les intoxications graves suspectées, le temps de prothrombine (temps de Quick [TQ]) est mesuré. Les résultats de l'aspartate aminotransférase (AST) et de l'alanine aminotransférase (ALT) sont corrélés au stade de l'intoxication (voir tableau Stades de l'intoxication aiguë par l'acétaminophène). Des taux sériques d'ASAT > 1000 UI/L sont plus susceptibles d'être liés à une intoxication par le paracétamol qu'à une hépatite chronique ou une hépatopathie alcoolique. Si l'intoxication est sévère, la bilirubine et l'INR (international normalized ratio) peuvent être élevés.
Des élévations peu importantes des transaminases (p. ex., jusqu'à 2 ou 3 fois la limite supérieure de la normale) peuvent survenir chez l'adulte qui prend des doses thérapeutiques de paracétamol pendant des jours ou des semaines. Ces élévations semblent transitoires, et généralement se résolvent ou diminuent (même avec la poursuite du paracétamol), sont généralement cliniquement asymptomatique, et sont probablement insignifiantes.
Les adduits aux protéines de paracétamol/cystéïne sont de nouveaux biomarqueurs développés et commercialisés comme indicateurs de l'hépatotoxicité induite par le paracétamol. Bien que les biomarqueurs puissent indiquer une exposition au paracétamol, ils ne montrent pas de façon concluante une hépatotoxicité induite par le paracétamol. D'autres biomarqueurs tels que les microARN sont à l'étude mais ne sont pas des outils diagnostiques standards.
Pronostic
Traitement
On administre du charbon activé si du paracétamol est susceptible d'être toujours présent dans le tube digestif.
La N-acétylcystéïne est un antidote en cas d'intoxication par le paracétamol. Ce médicament est un précurseur du glutathion qui diminue la toxicité du paracétamol en augmentant les réserves hépatiques de glutathion et probablement par d'autres mécanismes. Il permet de prévenir la toxicité hépatique en inactivant le métabolite toxique du paracétamol NAPQI (N-acétyle-p-benzoquinone imine) avant qu'il puisse léser les cellules hépatiques. Cependant, il ne peut inverser les lésions faites aux cellules hépatiques.
En cas d'intoxication aiguë, la N-acétylcystéïne est administrée s'il existe un risque d'hépatotoxicité de par la dose ingérée de paracétamol ou sa concentration plasmatique. L'antidote est plus efficace s'il est administré dans les 8 h qui suivent l'ingestion de paracétamol. Après 24 h, le bénéfice de l'antidote est discutable, mais il doit cependant être administré. Si le degré de toxicité est incertain, de la N-acétylcystéïne doit être administrée jusqu'à ce qu'une intoxication soit exclue.
La N-acétylcystéïne est aussi efficace administrée en IV que par voie orale. Un traitement IV est administré en perfusion continue. Une dose de charge de 150 mg/kg en 200 mL de glucosé à 5% administrée en 15 min est suivie par des doses d'entretien de 50 mg/kg dans 500 mL de glucosé à 5% administrés en 4 h, puis 100 mg/kg dans 1000 mL de glucosé à 5% administrés en 16 h. Chez l'enfant, il faut parfois ajuster le dosage pour diminuer le volume total de liquide qui est administré; une consultation dans un centre antipoison est recommandée.
La dose de charge orale de N-acétylcystéïne est de 140 mg/kg. Cette posologie est suivie de 17 doses supplémentaires de 70 mg/kg toutes les 4 h. La N-acétylcystéïne orale a un goût désagréable; elle est administrée diluée à 1:4 dans une boisson gazeuse ou un jus de fruit et peut entraîner des vomissements. En cas de vomissements, un antiémétique peut être utilisé; si des vomissements surviennent dans l'heure qui suit une prise, celle-ci doit être répétée. Cependant, les vomissements peuvent être prolongés et peuvent limiter le recours à la voie orale. Les réactions allergiques sont rares mais ont été observées après utilisation orale et IV.
L'insuffisance hépatique est traitée de manière symptomatique. Le patient présentant une insuffisance hépatique fulminante peut devoir bénéficier d'une transplantation hépatique.
Points clés
-
Le paracétamol étant omniprésent et initialement asymptomatique et traitable en cas de surdosage, envisager une toxicité chez tous les patients éventuellement intoxiqués.
-
Utiliser le nomogramme de Rumack-Matthew lorsque le moment de l'ingestion est connu afin de prédire le risque d'hépatotoxicité en se basant sur les taux de paracétamol sanguin.
-
En cas d'hépatotoxicité probable, administrer de la N-acétylcystéïne orale ou IV.
-
Si du paracétamol se trouve encore probablement dans le tractus gastro-intestinal, administrer du charbon activé.
-
Si le degré d'intoxication n'est pas connu avec certitude, commencer la N-acétylcystéïne IV ou orale jusqu'à ce que des informations définitives plus concluantes soient disponibles.
Intoxication chronique par le paracétamol
Une prise chronique excessive ou des surdosages répétés sont hépatotoxiques chez certains patients. En règle générale, le surdosage chronique n'est pas volontaire, mais s'explique par des doses majorées dans le seul objectif de soulager une douleur. Les symptômes peuvent être absents ou se résumer à l'un des symptômes du surdosage aigu.
Diagnostic
Le nomogramme de Rumack-Matthew ne peut pas être utilisé, mais la probabilité d'hépatotoxicité cliniquement significative peut être estimée en fonction des taux d'ASAT, d'ALAT et de la paracétamolémie.
-
Si les taux d'ALAT et d'ASAT sont normaux (< 50 UI/L [0,83 microkat/L]), et que la paracétamolémie est < 10 mcg/mL (< 66 micromol/L), une hépatotoxicité cliniquement significative est très peu probable.
-
Si les taux d'ASAT et d'ALAT sont normaux, mais que la paracétamolémie est ≥ 10 mcg/mL (> 66 micromol/L), le risque d'hépatotoxicité cliniquement significative doit être envisagé; les taux d'ASAT et d'ALAT sont à nouveau dosés 24 h plus tard. Si les taux répétés d'ASAT et d'ALAT sont normaux, une hépatotoxicité cliniquement significative est peu probable; si la paracétamolémie est élevée, le risque d'hépatotoxicité cliniquement significative est présumé.
-
Si le taux initial d'ASAT et d'ALAT est élevé, quelle que soit la concentration de paracétamol, il existe un risque d'hépatotoxicité cliniquement significative.
Traitement
Le rôle de la N-acétylcystéïne dans le traitement des intoxications chroniques par le paracétamol ou en présence d'une hépatotoxicité aiguë confirmée est inconnu. Théoriquement, l'antidote peut avoir certains avantages s'il est administré > 24 h après une ingestion, dès lors que des taux résiduels de paracétamol (non métabolisé) sont présents. L'approche thérapeutique suivante n'a pas fait preuve de son efficacité mais peut être utilisée:
-
En cas de risque d'hépatotoxicité (si les taux d'ASAT [alanine aminotransférase] et ALAT [alanine aminotransférase] sont normaux et que les taux de paracétamol sont initialement élevés), la N-acétylcystéïne est administrée à la dose de charge de 140 mg/kg par voie orale et 70 mg/kg par voie orale toutes les 4 h pendant les 24 premières heures. Si les dosages répétés d'ALAT et d'ASAT (après 24 h) sont normaux, la N-acétylcystéïne doit être arrêtée; si les taux répétés d'ASAT et d'ALAT sont élevés, il faudra les contrôler à nouveau tous les jours et poursuivre la N-acétylcystéïne jusqu'à ce que ces taux se normalisent.
-
Si le risque d'hépatotoxicité est élevé (en particulier si les taux d'ASAT et d'ALAT sont initialement élevés), un cycle complet de N-acétylcystéïne doit être administré.
Les facteurs pronostiques sont similaires à ceux de l'intoxication aiguë par le paracétamol.