Principes généraux sur les intoxications

ParGerald F. O’Malley, DO, Grand Strand Regional Medical Center;
Rika O’Malley, MD, Grand Strand Medical Center
Vérifié/Révisé juin 2022
Voir l’éducation des patients

L'intoxication correspond à la survenue de manifestations de toxicité après exposition à une substance donnée. Les symptômes sont variés, mais certains syndromes fréquents sont évocateurs de la responsabilité de certains types de toxiques. Le diagnostic est principalement clinique mais, pour certaines intoxications, des analyses sanguines et urinaires s'avèrent utiles. Le traitement de la plupart des intoxications est un traitement de support; des antidotes spécifiques ne sont nécessaires que dans un nombre limité de situations. La prévention passe par l'étiquetage de mentions claires sur les boîtes de médicaments et le rangement les produits toxiques hors de la portée des enfants.

La plupart des intoxications sont dose-dépendantes. La dose est déterminée par la concentration dans le temps. L'intoxication peut résulter de l'exposition à une quantité excessive de substances généralement non toxiques. Certaines intoxications sont dues à une exposition à des substances qui sont toxiques quelle que soit la dose. L'intoxication doit être différenciée des réactions d'hypersensibilité et des réactions idiosyncrasiques, qui sont imprévisibles et non dose-dépendantes et de l'intolérance, qui est une réaction toxique à une dose habituellement non toxique d'une substance.

L'intoxication se fait le plus souvent par ingestion, mais peut résulter d'une injection, d'une inhalation ou de l'exposition de certaines surfaces du corps (p. ex., peau, œil, muqueuses). Nombre de substances non alimentaires ingérées sont généralement non toxiques (voir le tableau suivant); cependant, presque toutes les substances peuvent être toxiques si elles sont ingérées en quantités importantes.

Tableau

L'intoxication accidentelle est fréquente chez les jeunes enfants, qui sont curieux et ingèrent n'importe quoi même si le goût et l'odeur sont désagréables; habituellement, seule une substance unique est impliquée. L'intoxication est également fréquente chez l'enfant plus âgé, l'adolescent et l'adulte dans le cadre de tentatives de suicide; plusieurs médicaments, y compris l'alcool, le paracétamol, et d'autres médicaments en vente libre, peuvent être impliqués. L'intoxication accidentelle peut, chez la personne âgée, résulter d'une confusion, de troubles visuels, mentaux ou de la prescription d'un même médicament par différents médecins (voir aussi Problèmes liés aux médicaments chez les personnes âgées).

Parfois, l'intoxication peut être criminelle avec une intention de meurtre ou de soumission chimique (p. ex., pour violer ou dérober les victimes). Les substances utilisées à cette fin (p. ex., scopolamine, benzodiazépines, gamma-gamma-hydroxybutyrate) ont souvent des propriétés sédatives et/ou amnésiantes. Exceptionnellement, ce sont les parents qui, ayant quelques connaissances médicales, empoisonnent leurs enfants pour des raisons psychiatriques mal définies ou envie de causer une maladie et bénéficier ainsi de l'attention des médecins (trouble appelé trouble factice imposé à une autre personne anciennement appelé syndrome de Münchausen par procuration).

Après exposition ou ingestion et absorption, la plupart des produits toxiques sont métabolisés, passent dans le tube digestif ou sont excrétés. Parfois, des comprimés (p. ex., aspirine, fer, médicaments gastrorésistants) forment dans le tube digestif des agrégats volumineux (bézoards), où ils ont alors tendance à stagner, d'où une prolongation de la résorption et de l'intoxication.

Symptomatologie des intoxicationd

La symptomatologie de l'intoxication varie en fonction de la substance (voir tableau Symptomatologie et traitement de toxiques spécifiques). De plus, différents patients intoxiqués avec la même substance peuvent présenter des symptômes très différents. Cependant, 6 agglomérats de symptômes (syndromes toxiques ou toxidromes) surviennent fréquemment et peuvent suggérer des classes particulières de substances (voir tableau Syndromes toxiques fréquents). Le patient qui ingère plusieurs substances est moins susceptible de présenter des symptômes évocateurs d'une substance toxique.

Tableau

Les symptômes débutent en général immédiatement après le contact, mais sont retardés avec certains toxiques. Ce retard peut survenir parce que seul un métabolite est toxique, et non la substance mère (p. ex., méthanol, éthylène glycol, substances hépatotoxiques). L'ingestion d'hépatotoxines (p. ex., paracétamol, fer, champignons Amanita phalloides) peut entraîner une insuffisance hépatique aiguë qui se manifeste un à plusieurs jours après l'intoxication. Dans le cas des métaux ou des hydrocarbures solvants, les symptômes apparaissent en général uniquement en cas d'exposition chronique au toxique.

Les toxines ingérées et absorbées entraînent souvent des symptômes généraux. Les produits caustiques et les liquides corrosifs entraînent des lésions principalement des muqueuses digestives, responsables de stomatites, de gastro-entérites voire de perforations. Certaines toxines (p. ex., alcool, hydrocarbures) donnent à l'haleine une odeur caractéristique. Le contact de la peau avec des toxines peut entraîner différentes atteintes cutanées aiguës (p. ex., éruptions, douleurs, phlyctènes); l'exposition chronique peut provoquer une dermatite.

L'inhalation de toxines peut entraîner des symptômes évocateurs de lésions des voies respiratoires supérieures si les substances sont hydrosolubles (p. ex., chlore, ammoniac) et des symptômes de lésions des voies respiratoires inférieures et un œdème du poumon non cardiogénique si elles sont moins hydrosolubles (p. ex., phosgène). L'inhalation de monoxyde de carbone, de cyanure ou de gaz de sulfure d'hydrogène peut causer une ischémie ou un arrêt cardiaque ou respiratoire. Le contact de toxines (solides, liquides ou sous la forme de vapeurs) avec l'œil peut entraîner des lésions de la cornée, des sclères et du cristallin, avec douleurs et rougeurs oculaires et perte d'acuité visuelle.

Certaines substances (p. ex., cocaïne, phencyclidine, amphétamines) peuvent entraîner une agitation sévère, avec pour conséquence hyperthermie, acidose et rhabdomyolyse.

Diagnostic des intoxications

  • Évoquer une intoxication en cas d'altération de la conscience ou de symptômes inexpliqués

  • Anamnèse de toutes les sources disponibles

  • Tests dirigés et sélectifs

La première étape du diagnostic d'intoxication consiste à évaluer l'état général du patient. Les intoxications sévères peuvent nécessiter une intervention rapide pour ne pas compromettre les voies respiratoires ou pour traiter une défaillance cardiopulmonaire.

L'intoxication peut être connue au début des troubles. Elle doit être suspectée si le patient présente des symptômes inexpliqués, en particulier des troubles de la conscience (qui peut aller de l'agitation à la somnolence et au coma). En cas d'intoxication volontaire chez l'adulte, il faut suspecter la responsabilité de plusieurs substances.

L'anamnèse est souvent la source la plus précieuse de renseignements. Comme nombre de patients (p. ex., enfants qui ne parlent pas encore, adultes suicidaires ou psychotiques, patients présentant une altération de la conscience) ne peuvent pas fournir des informations fiables, il faut interroger leurs amis, leur famille et les secours. Même le patient apparemment fiable peut se tromper sur la quantité ou le moment de l'ingestion. Lorsque cela est possible, le logement du patient doit être inspecté à la recherche d'indices (p. ex., boîtes de médicaments en partie vides, de lettre de suicide, de signes de toxicomanie récréative). Le dossier pharmaceutique et médical peut apporter des informations utiles. En cas d'intoxication ayant pu survenir sur le lieu de travail, il faut interroger les collègues et les responsables hiérarchiques du patient. Tous les produits chimiques industriels doivent avoir une fiche technique de sécurité des substances (FTSS) facilement accessible sur le lieu de travail; la FTSS fournit des informations précises sur la toxicité de la substance et tout traitement spécifique.

Dans de nombreuses parties du monde, il est possible d'obtenir des informations sur les substances chimiques, domestiques et industrielles en s'adressant aux centres antipoison. Il faut prendre contact avec le centre antipoison, car la composition, les mesures de première urgence et les antidotes tels qu'ils apparaissent sur les emballages des produits sont parfois imprécis voire dépassés. De plus, la boîte peut avoir été remplacée par une autre ou l'emballage avoir été modifié. Les centres antipoison peuvent identifier des comprimés sur leur aspect. Ces centres ont un accès direct à des toxicologues. Le numéro de téléphone du centre antipoison le plus proche figure souvent avec d'autres numéros d'urgence sur la première page du bottin téléphonique local; le numéro de téléphone est également disponible auprès de l'opérateur téléphonique ou, aux États-Unis, en composant le 1-800-222-1222. De plus amples d'informations sont disponibles sur le web site de l'American Association of Poison Control Centers.

L'examen clinique détecte parfois des signes suggérant des substances particulières (p. ex., toxidromes [voir tableau Syndromes toxiques fréquents], odeur de l'haleine, présence de médicaments topiques, signes évocateurs d'injections suggérant une toxicomanie IV, signes évocateurs d'un alcoolisme chronique).

Même si l'on considère que le patient est intoxiqué, les troubles de la conscience peuvent avoir d'autres origines (p. ex., infection du système nerveux central, traumatisme crânien, hypoglycémie, accident vasculaire cérébral, encéphalopathie hépatique, encéphalopathie de Gayet-Wernicke), diagnostics qu'il faut également discuter. Il faut toujours envisager la possibilité d'une tentative de suicide chez l'enfant plus âgé, l'adolescent et l'adulte qui a ingéré une drogue (voir Comportement suicidaire et Comportement suicidaire chez l'enfant et l'adolescent). En outre, les enfants partagent souvent les pilules et les substances trouvées; une enquête minutieuse pour identifier d'autres patients potentiellement empoisonnés parmi les compagnons de jeu et les frères et sœurs doit être entreprise.

Examens complémentaires

Dans la plupart des cas, les examens complémentaires n'ont qu'un intérêt limité. Des analyses de base, facilement disponibles et permettant d'identifier les drogues (souvent appelées, "recherches de toxiques") sont qualitatives et non quantitatives. Ces tests peuvent fournir des résultats faux positifs ou faux négatifs, et ils ne dépistent qu'un nombre limité de substances. De plus, la présence d'une substance ne signifie pas qu'elle soit responsable de la symptomatologie présentée par le patient (c'est-à-dire qu'un patient qui a récemment pris un opiacé peut en fait être obnubilé par une encéphalite plutôt que par le médicament). La recherche de drogues dans les urines est plus souvent utilisée mais a une valeur limitée et détecte habituellement les classes de médicaments ou de métabolites plutôt que des médicaments spécifiques. Par exemple, un dosage immuno-enzymatique de dépistage urinaire des opiacés ne détecte pas le fentanyl ou la méthadone mais réagit avec de très petites quantités d'analogues de la morphine ou de la codéine. Le test utilisé pour identifier la cocaïne détecte un métabolite de la cocaïne plutôt que la cocaïne elle-même.

Pièges à éviter

  • Trouver une drogue sur un test de dépistage ne signifie pas nécessairement qu'elle soit responsable de la symptomatologie présentée par le patient (c'est-à-dire qu'un patient qui a récemment pris un opiacé peut en fait être obnubilé du fait d'une encéphalite plutôt que par le médicament).

Pour la plupart des substances, il est difficile de déterminer les concentrations sanguines et ces dernières n'ont pas toujours d'incidence sur les choix thérapeutiques. Pour quelques substances (p. ex., paracétamol, aspirine, monoxyde de carbone, digoxine, éthylène glycol, fer, lithium, méthanol, phénobarbital, phénylhydantoïne, théophylline), les concentrations sanguines permettent une meilleure prise en charge. Nombre d'experts recommandent de mesurer les taux sanguins de paracétamol chez tous les patients présentant une ingestion mixte, car l'ingestion de paracétamol est fréquente et souvent initialement asymptomatique, puis susceptible d'entraîner des manifestations retardées sévères qui auraient pu être prévenues par un antidote. Pour certaines substances, d'autres examens sanguins (p. ex., temps de prothrombine [temps de Quick (TQ)] pour le surdosage en warfarine, taux de méthémoglobine pour certaines substances) permettent de guider le traitement.

En cas d'altération de la conscience ou de paramètres vitaux anormaux ou d'ingestion de certaines substances, le bilan doit comprendre un ionogramme sanguin, avec urée, créatininémie, mesure de l'osmolalité sérique, de la glycémie, des examens de la coagulation et un dosage des gaz du sang artériel. D'autres examens (p. ex., le taux de méthémoglobine, le taux de monoxyde de carbone, la TDM cérébrale) peuvent être indiqués si certains poisons sont suspectés ou dans certaines situations cliniques.

Pour certaines intoxications (p. ex., par le fer, le plomb, l'arsenic, d'autres métaux ou dues à des sachets de cocaïne ou d'autres substances illicites ingérées par des "mules"), les rx abdominales peuvent révéler la présence et la topographie des substances ingérées.

Pour les intoxications médicamenteuses présentant des effets cardiovasculaires ou si la substance est inconnue, un EEG et un suivi cardiaque sont indiqués.

Si les concentrations sanguines d'une substance ou les symptômes d'intoxication se majorent après avoir d'abord diminué ou persistent sur une durée inhabituellement longue, il faut suspecter un bézoard, une préparation à libération prolongée ou une réexposition (c'est-à-dire, exposition répétée et cachée à une drogue illicite).

Traitement de l'intoxication par le fer

  • Soins de support

  • Charbon activé pour les intoxications orales graves

  • Utilisation occasionnelle d'antidotes spécifiques ou de dialyse

  • Recours seulement dans de rares cas à la vidange gastrique

Le patient gravement intoxiqué peut nécessiter une ventilation ou la prise en charge d'une défaillance cardiovasculaire. Les patients qui présentent des troubles de conscience peuvent nécessiter un suivi ou une contention permanents. La discussion sur le traitement des intoxications spécifiques, ci-dessous et dans les tableaux Antidotes spécifiques fréquents, Lignes directrices du traitement chélateur et Symptomatologie et traitement de toxiques spécifiques, est général et ne comprend pas les complexités et les détails spécifiques. La consultation d'un centre antipoison est recommandée pour toute intoxication, sauf si elle ne présente pas de caractère de gravité et/ou s'il s'agit d'intoxication parmi les plus banales.

Stabilisation initiale

  • Maintenir la perméabilité des voies respiratoires, la respiration et la circulation

  • Naloxone IV

  • Dextrose et thiamine IV

  • Liquides IV, parfois vasopresseurs

Les voies respiratoires, la respiration et la circulation doivent être surveillées chez le patient chez qui on suspecte un empoisonnement systémique. Les patients qui n'ont pas de pouls ou de pression artérielle exigent en urgence une réanimation cardiopulmonaire.

Si le patient est en arrêt respiratoire ou si la perméabilité de ses voies respiratoires est compromise (p. ex., corps étranger dans l'oropharynx, altération du réflexe laryngé), il faut pratiquer une intubation (voir Intubation trachéale). Si le patient présente une dépression respiratoire ou une hypoxie, une oxygénothérapie ou une ventilation mécanique peuvent s'avérer nécessaires.

La naloxone IV (2 mg chez l'adulte; 0,1 mg/kg chez l'enfant; des doses aussi élevées que 10 mg peuvent être nécessaires dans certains cas) doit être essayé en cas d'apnée ou de dépression respiratoire grave, tout en maintenant une assistance respiratoire. Chez les toxicomanes aux opiacés, la naloxone peut entraîner un syndrome de sevrage, lequel est cependant préférable à une dépression respiratoire aiguë. Si la dépression respiratoire persiste malgré l'administration de naloxone, une intubation endotrachéale et une ventilation mécanique continue sont nécessaires. Si la naloxone soulage la dépression respiratoire, les patients sont suivis; si la dépression respiratoire réapparaît, le patient doit être traité par un autre bolus de naloxone IV ou intubation endotrachéale et par ventilation mécanique. Le recours à une perfusion continue à faible dose de naloxone pour maintenir la ventilation sans précipiter un syndrome de sevrage a été suggéré mais est très difficile à réaliser en pratique.

Du dextrose IV (50 mL d'une solution à 50% chez les adultes; 2 à 4 mL/kg d'une solution à 25% chez les enfants) doit être administré en cas d'altération de la conscience ou de dépression du système nerveux central, à moins que l'hypoglycémie n'ait été écartée par la mesure immédiate au lit du malade de la glycémie.

La thiamine (100 mg IV) est administrée avec ou avant le glucose chez l'adulte présentant une suspicion de déficit en thiamine (p. ex., les alcooliques, les patients dénutris).

Des liquides IV sont administrés pour l'hypotension. Si l'apport liquidien est inefficace, un suivi hémodynamique invasif peut être nécessaire pour orienter le remplissage vasculaire et le traitement par agents vasopresseurs. Le traitement vasopresseur à privilégier dans la plupart des hypotensions causées par une intoxication est la noradrénaline 0,5 à 1 mg/min en perfusion IV, mais le traitement ne doit pas être différé si un autre vasopresseur est disponible plus rapidement.

Décontamination locale

Toute surface corporelle (dont les yeux) exposée à un produit toxique doit être lavée avec de grandes quantités d'eau ou de sérum physiologique. Les vêtements contaminés, y compris les chaussures, les chaussettes et les bijoux, doivent être enlevés. Les patchs topiques et les systèmes d'administration transdermique sont enlevés.

Charbon activé

On administre généralement du charbon activé, en particulier en cas d'ingestion de plusieurs substances ou de produits inconnus. L'utilisation du charbon présente peu de risques, à moins que le patient ne soit à risque de vomissements et d'inhalation, mais n'a pas démontrée réduire significativement la morbidité ou de la mortalité. Le charbon, s'il est utilisé, doit être administré le plus tôt possible. Le charbon activé adsorbe la plupart des toxines du fait de sa structure moléculaire et de sa surface étendue. Des doses répétées de charbon activé peuvent être efficaces pour les substances qui font l'objet d'un cycle entérohépatique (p. ex., le phénobarbital, la théophylline) et pour les préparations à libération prolongée. En cas d'intoxication sévère par ce type de substances, le charbon peut être administré à des intervalles de 4 à 6 heures, sauf en cas de ralentissement du transit intestinal. Le charbon est inefficace pour les produits caustiques, les alcools et les ions simples (p. ex., le cyanure, le fer, les autres métaux, le lithium).

La dose recommandée est de 5 à 10 fois celle du toxique suspecté. Cependant, la quantité de toxine ingérée étant habituellement inconnue, la dose usuelle est de 1 à 2 g/kg, soit environ 10 à 25 g chez l'enfant de < 5 ans et de 50 à 100 g chez l'enfant plus grand et chez l'adulte. Le charbon est administré sous la forme de bouillie, dans de l'eau ou des boissons sans alcool. Il peut avoir un goût désagréable et entraîner des vomissements chez 30% des patients. L'administration via une sonde gastrique peut être envisagée, mais la prudence s'impose pour éviter les traumatismes provoqués par l'insertion de la sonde ou l'inhalation du charbon activé; les avantages potentiels l'emportent sur les risques. Le charbon activé doit probablement être utilisé sans sorbitol ou autres accélérateurs du transit digestif, leur intérêt n'étant pas évident et ceux-ci pouvant entraîner une déshydratation et des troubles hydro-électrolytiques.

Lavage gastrique

Le lavage gastrique qui était bien accepté et semble intuitivement efficace ne doit pas être effectué systématiquement. Il ne réduit pas nettement la morbidité ou la mortalité et présente des risques. Le lavage gastrique n'est à envisager que s'il peut être effectué dans l'heure qui suit l'ingestion d'un toxique mettant en jeu le pronostic vital. De nombreuses intoxications se manifestent cependant trop tardivement et il est souvent difficile de conclure à la mise en jeu du pronostic vital. Ainsi, le lavage gastrique est rarement indiqué et, si une substance caustique a été ingérée, il est contre-indiqué (voir Ingestion de caustiques).

Le lavage gastrique est la méthode préférée pour vider l'estomac de son contenu. Le lavage gastrique peut entraîner des complications telles qu'épistaxis, inhalation ou, exceptionnellement, des lésions oropharyngiennes ou œsophagiennes. Le sirop d'ipéca a des effets imprévisibles, entraîne souvent des vomissements prolongés et peut ne pas permettre l'élimination de quantités importantes du toxique hors de l'estomac. Le sirop d'ipéca peut être justifié si l'agent ingéré est très toxique et le temps de transport aux urgences est anormalement long, mais cela est rare aux États-Unis.

Pour le lavage gastrique, de l'eau du robinet est instillée et retirée de l'estomac à l'aide d'une sonde. On utilise la plus grosse sonde possible (en général > 36 French chez l'adulte ou 24 French chez l'enfant) afin de pouvoir retirer des fragments de comprimés. Si le patient présente des troubles de conscience ou un réflexe laryngé diminué il doit subir une intubation trachéale avant le lavage afin d'éviter toute inhalation de liquide gastrique. Le patient est placé en position de décubitus latéral gauche afin d'éviter les phénomènes d'inhalation et la sonde est mise en place par voie orale. Comme le lavage peut parfois favoriser la progression dans le tube digestif des substances, le contenu de l'estomac doit être aspiré et une dose de 25 g de charbon doit être instillée dans la sonde immédiatement après l'insertion. Ensuite, des volumes (environ 3 mL/kg) d'eau du robinet sont instillés et le contenu gastrique est éliminé par gravité ou aspiré à l'aide d'une seringue. Le lavage se poursuit jusqu'à ce que les liquides éliminés ne contiennent plus la substance; habituellement, 500 à 3000 mL d'eau doivent être instillés. Après le lavage, une 2e dose de 25 g de charbon est instillée.

Irrigation intestinale

Cette procédure permet le lavage du tube digestif et diminuerait la durée du transit intestinal pour les comprimés et autres formes galéniques orales. L'irrigation intestinale n'a pas été démontrée réduire la morbidité ou la mortalité. L'irrigation intestinale est indiquée dans l'un des cas suivants:

  • Certaines intoxications sévères par des préparations à libération prolongée ou des substances non adsorbées par le charbon (p. ex., métaux lourds)

  • Sachets de drogues (p. ex., sachets en latex contenant de l'héroïne ou de la cocaïne ingérés par des "body packers" ou mules)

  • Suspicion de bézoard

Une solution commerciale prête à l'emploi de polyéthylène glycol (qui n'est pas résorbable) et d'électrolytes parfois utilisé pour nettoyer l'intestin pour la coloscopie, est administrée à un débit de 1 à 2 L/h chez l'adulte ou de 25 à 40 mL/kg/h chez l'enfant, jusqu'à ce que l'effluent rectal soit clair; ce processus peut nécessiter plusieurs heures, voire plusieurs jours. La solution est habituellement administrée par sonde gastrique, bien que certains patients motivés parviennent à boire les grands volumes nécessaires.

Diurèse alcaline

La diurèse alcaline augmente l'élimination des acides faibles (p. ex., salicylates, phénobarbital). Une solution obtenue en associant 1 L de glucosé à 5% avec trois ampoules de 50 mEq (50 mmol/L) de bicarbonate de sodium et 20 à 40 mEq (20 à 40 mmol/L) de potassium peut être administrée à une vitesse de 250 mL/h chez l'adulte et de 2 à 3 mL/kg/h chez l'enfant. Le pH urinaire est maintenu > 8 et le potassium doit être réintégré. Une hypernatrémie, une alcalose et une surcharge hydrique peuvent survenir, ces anomalies étant en fait le plus souvent discrètes. La diurèse alcaline est cependant contre-indiquée en cas d'insuffisance rénale.

Dialyse

Les toxiques qui justifient le plus le recours à la dialyse ou à une hémoperfusion sont les suivants

  • Éthylène glycol

  • Lithium

  • Méthanol

  • Salicylates

  • Théophylline

Ces traitements sont moins efficaces si le toxique est une grosse molécule ou une molécule chargée (polaire), s'il présente un grand volume de distribution (c'est-à-dire, s'il est stocké dans le tissu adipeux) ou s'il est très lié aux protéines tissulaires (comme la digoxine, la phencyclidine, les phénothiazines, ou les antidépresseurs tricycliques). L'indication de la dialyse est habituellement posée en fonction des données biologiques et de l'état clinique du patient. Les méthodes de dialyse comprennent l'hémodialyse, la dialyse péritonéale et la lipaphérèse (qui élimine les substances liposolubles du sang), ainsi que l'hémoperfusion (qui élimine rapidement et efficacement certains toxiques spécifiques, voir Traitement de suppléance rénale).

Antidotes spécifiques

Pour les antidotes les plus souvent utilisés, voir tableau Antidotes spécifiques fréquents. Les médicaments chélateurs sont utilisés pour les intoxications par les métaux lourds et parfois par d'autres médicaments (voir tableau Lignes directrices du traitement chélateur). Les émulsions lipidiques IV à des concentrations de 10% et 20% et des doses d'insuline élevées ont été utilisées pour traiter avec succès plusieurs intoxications par différentes toxines cardiaques (p. ex., bupivacaïne, vérapamil).

Tableau
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Mesures de support

La plupart des symptômes (p. ex., agitation, sédation, coma, œdème cérébral, HTA, troubles du rythme, insuffisance rénale, hypoglycémie) sont traités par mesures de support classiques (voir ailleurs dans LE MANUEL).

L'hypotension artérielle et les troubles du rythme d'origine médicamenteuse peuvent ne pas répondre aux traitements médicamenteux habituels. En cas d'hypotension réfractaire, on peut envisager l'administration de dopamine, d'adrénaline, d'autres vasopresseurs, la mise en place d'une contrepulsion aortique, voire une assistance circulatoire extracorporelle.

En cas de troubles du rythme rebelles, une stimulation cardiaque peut s'avérer nécessaire. Les torsades de pointes peuvent souvent être traitées par du sulfate de magnésium 2 à 4 g IV, un entraînement électrosystolique (overdrive) ou une perfusion d'isoprotérénol.

Les convulsions sont traitées en première intention par des benzodiazépines. Le phénobarbital et le propofol ont été utilisés lorsque les benzodiazépines sont inefficaces. Une agitation sévère doit être contrôlée; des benzodiazépines à fortes doses, d'autres sédatifs puissants (p. ex., propofol) ou, dans les cas extrêmes, une curarisation avec ventilation mécanique, peuvent être nécessaires.

L'hyperthermie est traitée par une sédation agressive et des techniques physiques de refroidissement plutôt que par antipyrétiques. En cas de défaillance organique, une transplantation rénale ou une transplantation hépatique peut finalement s'avérer nécessaire.

Hospitalisation

Les motifs les plus habituels d'hospitalisation sont des troubles de la vigilance, des perturbations persistantes des paramètres vitaux et l'anticipation d'une toxicité retardée. Par exemple, l'hospitalisation est envisagée si le patient a avalé des préparations à libération prolongée, en particulier des médicaments pouvant entraîner des effets indésirables sévères (p. ex., les médicaments cardiovasculaires). En l'absence d'autres motifs d'admission, si les examens biologiques indiqués sont normaux et s'il n'y a plus de symptomatologie après une surveillance de 4 à 6 heures, la plupart des patients peuvent quitter l'hôpital. Cependant, si l'ingestion était volontaire, un bilan psychiatrique est nécessaire.

Prévention de l'intoxication

Aux États-Unis, l'utilisation courante de conditionnements sécurisés chez l'enfant avec des couvercles adaptés a fortement réduit le nombre d'intoxications mortelles chez l'enfant de < 5 ans. Limiter la quantité d'unités d'antalgiques par boîte en vente libre et éliminer les formulations déroutantes et redondantes réduit la gravité des intoxications, en particulier celle par le paracétamol, l'aspirine ou l'ibuprofène.

D'autres mesures préventives comprennent les suivantes

  • Étiquetage clair des produits ménagers et des médicaments sur ordonnance

  • Rangement des médicaments et des substances toxiques dans des armoires verrouillées et hors de portée des enfants

  • Se débarrasser rapidement des médicaments périmés en les mélangeant à de la litière de chat ou à d'autres substances vers lesquelles les enfants ne seront pas attirés et en jetant le tout dans une poubelle non accessible aux enfants

  • Utilisation de détecteurs de monoxyde de carbone

  • S'abstenir de prescrire des opiacés et utiliser des traitements non opiacés chaque fois que possible

Les mesures visant à encourager la population à garder les produits dans leur emballage d'origine (p. ex., ne pas mettre de l'insecticide dans des bouteilles de boisson) sont importantes. L'utilisation d'identifications imprimées sur les médicaments solides permet d'éviter la confusion et les erreurs de la part des patients, des pharmaciens et des soignants.

Points clés

  • L'intoxication doit être différenciée des réactions d'hypersensibilité et des réactions idiosyncrasiques, qui sont imprévisibles et non dose-dépendantes et de l'intolérance, qui est une réaction toxique à une dose habituellement non toxique d'une substance.

  • Reconnaître un toxidrome (p. ex., anticholinergique, cholinergique muscarinique, nicotinique cholinergique, opiacé, sympathomimétique, de sevrage) peut permettre d'affiner le diagnostic différentiel.

  • La toxicité peut être immédiate, différée (p. ex., paracétamol, fer, champignons Amanita phalloides provoquant une hépatotoxicité retardée), ou ne se produire qu'après une exposition répétée.

  • Maximiser la reconnaissance de l'empoisonnement et l'identification du poison spécifique évoquant l'intoxication chez tous les patients présentant des altérations inexpliquées de la conscience et par une recherche approfondie pour trouver des indices à partir de l'histoire.

  • Envisager d'autres causes (p. ex., une infection du système nerveux central, un traumatisme crânien, une hypoglycémie, un accident vasculaire cérébral, une encéphalopathie hépatique, une encéphalopathie de Wernicke) en cas de trouble de la conscience, même si on suspecte un empoisonnement.

  • Utiliser les tests toxicologiques (p. ex., tests immunologiques pour les médicaments) de façon prudente car ils peuvent fournir des informations incomplètes ou incorrectes.

  • Traiter tous les empoisonnements par des mesures de soutien et utiliser du charbon actif en cas d'empoisonnement grave par voie orale et sélectivement par d'autres méthodes.

Plus d'information

Ce qui suit est une ressource en anglais qui peut être utile. S'il vous plaît, notez que LE MANUEL n'est pas responsable du contenu de cette ressource.

  1. Hazardous Materials Tools: une base de données consultable de substances toxiques connues gérée par l'U.S. Library of Medicine's Wireless Information System for Emergency Responders (WISER)

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